Lever l’Encre, c’est mon premier projet 100% éco-conçu, à base d’encres (de Chine et aquarelle) ! J’ai cherché longtemps à poursuivre les Curieux Hybrides en me passant de la peinture acrylique, qui est un dérivé de la pétrochimie. Je voulais aussi mettre de côté le papier calque, qui demande beaucoup d’énergie pour être produit et me posait des difficultés techniques dans le montage…
Mais comment garder l’équilibre entre le portrait et l’abstrait sans la transparence du calque ? Comment garder une vivacité de couleurs et des effets de transparence sans la gamme des tubes d’acrylique ? Comment remplacer mon stylo noir jetable préféré, lui aussi à l’acrylique ? Après de nombreuses expérimentations, des recherches approfondies sur les médiums, leur composition, leur fabrication et leur provenance, j’arrive à cette collection “Lever l’Encre”, pour laquelle je travaille sur papier avec de l’encre de Chine (à la plume réutilisable, finis les stylos jetables), des encres aquarelles à l’eau, des crayons de couleurs et des craies à la cire.
Ces portraits, qui rencontrent le texte (retour aux sources…), invitent à prendre le large vers la complexité des relations entre vivants humains et non-humains. Il y est donc question de vent, d’arbres, de lacs, des éléments, des animaux, des milieux…. En hybridant le figuratif et l’abstrait, le trait et l’aplat, la ligne et la forme, le noir et blanc et la couleur, le visuel et le texte, ils cherchent à ouvrir des espaces d’exploration à nos diverses parts sensibles.
– ibrida folia, 18*26cm
et la mer
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Extrait : “Il n’y a rien à réussir, je le sais. Seulement à vivre ce qui est là. Les envolées, les ça-ne-va-pas. Le vent. L’orage. Ses bras. Même les falaises s’écroulent, parfois. On ne leur en veut pas. Me laisser glisser dans ses bras, j’aimerais ça, recevoir cette tendresse-là. Fondre dans ce gris, ardoise falaise, craie caillou, rosé, bleuté, ça se mélange et pourtant je distingue le sable de l’écume et la roche du sentier. À mes pieds, le fleuve s’y jette, lui. Sans réfléchir. Je rêve de son suave qui m’enlace et le café me semble froid.
Il n’y a rien à réussir. Seulement à recevoir. Du plus haut point de la plage, des jeunes jettent dans l’écume des galets qui ont, déjà, tant connu la puissance des vagues. Charriés, malmenés, hurlant de leur roulement. Leurs gestes vifs, presque agressifs, lancent dans l’air l’énergie de l’envie. Du désir de vie. Un frisson naît puis couve bien au chaud dans les creux de mes tripes, et tout au fond, la vibration du raclement d’une pierre contre une autre, au milieu d’autres, milliers de bouts de roches un jour séparés, qui se retrouvent et se confrontent, tapis de points de contact sous mes pieds et en moi, frottements imposés, c’est doux et c’est rugueux. De loin, mélanges en fusion, de près rencontres à l’improviste, choc au semblable pourtant si différent, unique, qui touche la surface, me rejoint, visite mes recoins, et puis repart au loin.
Il n’y a rien à réussir, seulement à accueillir. Voilà que le soir tombe. Les gris perdus désormais dans les noirs, tout est plus contrasté. Lumières des réverbères sur le relief du ressac forment peau mouvante de reptile préhistorique. Immense et sombre. Affleure dans la pénombre, menace. Ses écailles, brillance à la surface, agitent mon striatum, excitent mon système limbique. Je panique. C’est terrible et si beau que je voudrais m’y jeter. Sauter là et périr car l’appel est trop fort, de la mer d’où je viens et où je m’en irai après avoir vécu. Tout vécu. Tout reçu. La violence, la vie, l’extase et lui. Ce n’est pas pour ici. Aujourd’hui je ne plongerai pas. Il n’y a rien à réussir, seulement, un peu encore, à être là.” ibrida folia
– ibrida folia, 18*26cm
tu cherches le rythme
“Je t’écris trop souvent. Tu réponds peu, j’attends. Tu me lances un défi ? Un thème à dessiner, des mots à poser, n’importe quoi pour patienter. Le rythme, justement, tu me lances. La vitesse, dynamique. Et voilà que ma plume bat des ailes et mes idées parcourent le ciel. Ça fuse effilé. Des boucles, des traits, d’après ce que je sais de toi, j’en sais peu mais je sais ça, que tu cherches le rythme. Que tu souffres de la course, comme tant autour de moi. Que tes défis sont tes joies tout autant que la cage qui se referme sur toi. Tu agis, je dessine, tu t’isoles, je médite et dilate le présent, et toi tu marches vite, à contre-courant, la vie est courte et il faut tout oser tu dis, tes défis, il y en a tant, tu défies le temps, j’ai l’envie de te dire “méfie-toi, il est puissant” mais tu le sais déjà, il emporte comme le courant, on le sait mais on ne sait pas quoi faire, le cargo arrive, on arrive, on ne sait pas bien où mais on arrive, on se presse, on débarque, on s’agite, la vie passe et déjà il est temps de partir, délire, te lire, j’attends, et finalement je me demande, si puissant le temps ? charlatan, sa pression que du vent ! qui porte les oiseaux, certes, et leur chant plus rapide que n’importe quel instrument, le chant du pouillot aussi véloce que le vent, mais le chant du bruand ralentis-le et il vibre comme la corne de brume qui envahit l’espace jusqu’à tes coronaires et place, dans l’air, cette étreinte de l’instant qui s’arrête, suspens, te prend, t’arrête, quand je dessine je ne le vois plus passer, le temps, et les chansons s’enchaînent, sang chêne, l’hiver est là et la sève au repos, le chêne sans son sang, ralenti et sans feuilles, mortes, mais l’oiseau battra des ailes et le temps reprendra, trop vif ou trop lent, les feuilles reviendront et l’oiseau se posera, à nouveau, sur la branche, sur ton dos, et tu auras trois ans, tu courras et il s’envolera, tu t’arrêteras et il te regardera, étrange cette fois, quelque chose a changé, c’est la vie qui l’a quitté, mais comme ça ou autrement elle réapparaîtra, car le temps n’existe pas, tu agis, je médite, ça change tout et ça ne change rien, refrain, re-frein, t’arrêter, tu aimerais bien, mais rien c’est la mort… rien c’est la mort ? pas la mort, tu sais bien, mais la peur, tu agis et c’est bien, l’air est dense de tes gestes et des plumes qui volent autour de toi, c’est bien mais tu vois mal, tu danses les yeux fermés, la musique est forte et le rythme t’emporte, tu danses, tu pleures, et quand tu pleures tu meurs un peu… tu meurs un peu ? tu pleures, essuies tes yeux et regardes en arrière, tu souris, ça fait du bien le chemin parcouru, retourne-toi ! tu dis, fais le choix du poète et pas celui de l’amoureux tu dis, je ris, c’est qu’Orphée aux enfers, il s’est retourné et elle est morte deux fois, Eurydice, ah ah, tu vois, le temps n’existe pas, elle est morte deux fois, et moi je rêve d’être les deux, mais les deux à la fois cela ne se peut pas, dit-on, il y a deux temps, trois temps, la valse t’emporte jusqu’à mille temps, tu tangues, tu souffles, voilà qu’à nouveau il va trop vite, le temps, tu cherches le rythme, partout, tout le temps, et moi j’attends de ne plus t’attendre, me rends, vas-t’en, je t’en prie, vas-t’en, non, ne bouge pas !, l’oiseau est là, sur ton doigt, profites-en, un jour il disparaîtra, ils disparaîtront tous, on l’aura bien cherché, et nous aussi on disparaîtra tous, on l’aura bien cherché, à force de l’éviter, la mort, et voilà que j’ai peur, que le temps me revient en plein milieu du cœur, poignard rieur, j’ai peur, de perdre les oiseaux, et toi, tu as peur ? j’aimerais savoir, dis-moi, tu as peur ? tu as peur de quoi, toi ? par la fenêtre je le vois, l’oiseau est bien vivant, mort et vivant en même temps, comme le chat, ce chat-là, tu sais, le chat quantique qui fait faire des sauts quantiques, je médite, j’ai toujours peur mais un peu moins, le chat chasse l’oiseau et moi mes pensées, je pense aux vanités, l’oiseau est mort, tu le vois bien, son crâne nu, là, tu ne vois que ça ! mais l’oiseau n’est pas mort, tu les vois bien, ses ailes qui battent, là, tu ne vois que ça ! je regarde, tu regardes, garde, ton calme, mon calme, ralentis, s’il te plaît, ralentis, juste le temps d’une pause, pose-toi sur la branche fébrile et respire, elle ne cassera pas car si tu médites avec moi on atteindra le poids de l’oiseau, tu médites avec moi, dis ? c’est que j’aimerais que tu soignes un peu de ton toi pour repartir au bon endroit, moins vite et plus fort, le chat passe devant nous, comme le temps qui n’existe pas continue tout de même de passer, il a raté l’oiseau et moi je t’ai raté, cette fois-là, mais ça n’a pas d’importance, rien n’a d’importance car tout s’effacera et l’oiseau reviendra, et s’il ne revient pas ils diront c’est le destin mais nous on saura, on aura essayé, on aura mal et notre idéal blessé, j’ai peur de ça aussi mais je laisse passer et toi tu agis, et au fond, tout au fond, il y a la confiance, je le sais je l’ai vue, pas vue mais perçue, tu la sens tout au fond de ton toi ? elle est déjà là, depuis toujours et pour toujours, et l’oiseau dans le ciel il dit merci quand même, il est là et pour toujours, dans les ondes de la valse ou la poussière de l’air. J’appuie sur “envoyer”, texte et dessin expédiés, et voilà qu’il est l’heure d’éteindre la lumière, il y a trop de lumière, ici, je dois me reposer, et toi là-bas, aussi, oser cesser de bouger.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
écologie & liberté
“Introduction. Ligne de départ. Je prends mon élan : j’aimerais écrire sur la liberté. Mais sans tourner en rond autour de banalités. Tourniquet de l’esprit. Lieux communs dans lieux publics. Le tourniquet tourne trop vite. J’en ai mal au cœur, je descends, titube, circonvolutions. Le chemin serpente, et de la révolution il me faut passer à autre chose, prendre la tangente. Tourner la page.
Car, voyez-vous, je suis arrivée à la liberté par le haut. Par le ciel. De trop haut. Le grand idéal. Boum. La chute n’en fut que plus belle. Mais je n’abandonne pas. Je remonte la pente comme une enfant le toboggan. Je suis mon ambition comme ma bonne étoile. « On ne prend pas le toboggan à l’envers ! » crie la maîtresse. Mon regard se renverse. Et pourquoi pas ? Bien sûr que si. Si les toboggans n’existaient pas pour être remontés à l’envers, les toboggans n’existeraient pas. Liberté, poil à gratter.
Si ce n’est pas une révolution, ce sera au moins un changement de cap, pleins gaz sur la ligne courbe ! Je reprends le fil, fil tors, fil rebelle, il n’en fait qu’à sa tête dans les nuages. Il s’élève, mais pas trop haut, chat échaudé se garde un fil à la patte. Il flotte entre deux eaux, mollement, il retombe, et moi avec lui, je chute lentement, sans un bruit, je chute, chut ! jusqu’à l’amas moelleux des bulles entassées là, chaudement, dans le coin d’une page. Je pourrais rester là, oublier pour toujours mes rêves de liberté, me laisser fondre et pelotonner dans ce petit coin douillet, mais au sommet de la plus haute des bulles, il y a la panthère noire qui me regarde. Et elle attend.
Écrire la liberté, peindre la liberté, oser la liberté, c’est comme chercher la lumière au milieu d’une épaisse forêt de sapins. C’est rugueux. Ça pique. Il faut grimper, regarder au-delà de ce que l’on voit trop. Avancer lentement, point par point seulement. Le lourd nappage du conformisme dégouline et m’ensevelit parfois. C’est sucré, rond, comme une évidence. Mais le confort m’use, il est écœurant et je remonte, sors la tête du sirupeux, encore ensuquée. Qu’il est loin, merde ! le point de l’infini !
J’avance malgré tout, les carrefours s’enchaînent et je change de direction, j’avance, mais reviens au même point. Je vois l’autre chemin mais je ne l’atteins pas. Est-il si différent de celui-là ? Verte forêt et forêt verte. Verts sapins et sapins verts. La boucle se boucle et se referme sur moi, encore une fois. Revoilà les bulles joyeuses et savonneuses, gluantes et poisseuses.
« Savoir, c’est être libre », dit la maîtresse. Moi je voudrais avoir le choix. Savoir, ne pas savoir, goûter parfois à l’insouciance de l’ignorance. Sauter à pieds joints sur le trampoline de la vie, sans savoir de quoi demain sera fait. Oser les chemins de traverse, prendre l’échangeur pour mieux quitter la large route, la nationale, la départementale, s’arrêter en rase campagne.
Ici, on voit les étoiles. On danse en spirale. Le vent chasse les nuages et quand on tourne en rond le rond devient ellipse, tes lips, sur tes lèvres des mots, en dehors de ta bouche des mots, dans la pièce des mots, dans l’espace des mots, petits puis gros, immenses et bientôt partout, énormes et explosifs, ils griffent, chahutent et remettent les pendules à l’heure et l’heure à la bonne.
Parce qu’il y en a marre, et que les étoiles jetées six pieds sous terre il faut les déterrer et les raccrocher aux nuages, là-haut au-dessus, bien au-dessus de la cime des sapins. Et tant pis pour les écorchures, la boule au ventre et les nœuds au cerveau, la panthère noire les croquera, les mâchera et les recrachera en une bouillie ruisselant jusque dans le sol, et avec un peu de lumière et quelques gouttes de pluie et la patience infinie de la vie, il en poussera des champignons qui relieront les êtres et les possibles, et de nouveaux sapins qui, encore et encore, pointeront dans la bonne direction. Du sol au plafond.
Conclusion. Nouvelle ligne de départ. Tiens bon, suis le champignon, la bulle s’élève. Tiens le bon bout, celui des rêves, des rêves fous. Tiens la corde, poursuis ta route sans craindre les détours. La liberté est là. Juste ici autant que loin là-bas.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
face au vent
“J’imprécise le trait, car le vent me trouble, d’abord. Il m’éneeerve, réveille la colère de la lutte. Je pousse. Il repousse, il me fouette. Je jure. Résiste. L’injustice. Si forte. Si toujours. Il me nargue, me la rappelle, me la met sous le nez comme les feuilles qu’il charrie. Petits tas de souffrance… Je sais, bien sûr, qu’elle ne vient pas de lui, l’injustice. Alors je jette, l’éponge. Tombent mes épaules. Lasses. J’embrasse, la sensation, le vent, le temps, apprivoise le temps, qui passe. De lutter, cesser, d’attendre, cesser, d’exiger, cesser. Contre mon front, il se fait moins violent, le vent. Toujours ferme, pourtant. Présent. Mais je ne grogne plus, ne parle plus, même, il est le plus fort, de toute façon. J’écoute. Les messages des arbres et des insectes, qu’il transporte. La terre, qu’il féconde des akènes et des pollens, des noix que le corbeau saisit et envole dans l’arbre, boucle une boucle, il jette la noix, la noix au sol, à terre, si bien qu’à la fin elle se brise, enfin, et la bise revient, et ma bouche muette écoute, et mon oreille voit le ballet des corbeaux et le sifflement du vent devenu serpent. Transmutation. Mes cheveux se mordent la queue. Je ressens sur ma peau, sur mes joues, sur mes yeux demi-clos la glisse épaisse et invisible. Le vent fait parler en moi une nouvelle voix, moi qui me croyais de la terre, serais-je aussi de l’air ? Le vent parle et ses paroles arrivent à mon oreille et j’écoute parce qu’il sait, lui, ce que c’est que de faire le tour de la terre. Il sait, lui, ce que c’est que d’être à part. Là et invisible. Il a tant à m’apprendre. La puissance discrète. Puissance de. La force. Millénaire, persévérante. Ne lâche rien. Les serpents, les couleuvres, tu peux bien les avaler, ton heure viendra. Pas. À. Pas. À force de cumuler les couches de transparence, on finit par prendre de l’épaisseur.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
hommage aux facilitatrices et facilitateurs territoriaux, aux médiatrices et médiateurs environnementaux, aux marginales et marginaux sécant.e.s, aux passeurs et passeuses d’entre-les-mondes, aux tisseuses et tisseurs de liens…
“L’autre jour, elle est allée marcher. Le fleuve l’apaise, en général. Mais ça ne s’est pas passé comme elle l’avait imaginé. À l’endroit précis où l’eau étreint la terre, juste à côté de l’arbre déraciné qui continue malgré tout de verdir chaque printemps, exactement à cet endroit, elle a voulu poser un pied dans l’eau et un pied sur le sable. Ça lui a pris comme ça, sans réfléchir et sans imaginer que son ordre des choses en serait si chamboulé.
Maintenant que tout cela est derrière elle, elle prend une pause, et dans sa tête s’écoule le flot de ses pensées qui reparcourent le fil de cette histoire, ce fil entortillé qui a fini par se dénouer.
Au moment précis où elle a posé ses pieds ainsi, un pied dans l’eau et un pied sur le sable, le monde entier lui est apparu coupé en deux. D’un côté l’eau, de l’autre le bateau. D’un côté la chaise, de l’autre l’autre chaise. Et la clôture qui sépare le jardin et la ville… Elle s’est demandé comment traverser la clôture. Faut-il traverser la clôture ? Sous son pied, il y a toujours la sensation du sable mêlé de graviers, crissants, râpeux. Sous son autre pied, la fraîche sensation de l’écume, les bulles qui coulent, s’écoulent.
Elle a plongé, a failli se noyer. L’eau paraissait si calme pourtant, si tranquille. Mais sous la surface, il y avait la puissance du courant chargé de l’énergie de la terre. Le monde coupé en deux, encore. Elle s’est vue sombrer. Un pêcheur l’a rattrapée. Elle s’est allongée sur le dos, à la lisière de la rive. Au-dessus d’elle, il y avait le ciel. Au-dessous d’elle, il y avait la terre. C’est là qu’elle a compris.
Maintenant que tout cela est derrière elle, elle sait que sa place est à l’interface, au niveau de la surface qui sépare et qui rejoint. Comme l’image fixée sur la pellicule, entre l’endroit et l’envers. Dans le monde coupé en deux, elle est à cet endroit, fin et délicat. Ni devant, ni derrière. Ni au-dessus, ni en-dessous. Juste là. Ni dedans, ni dehors. Ni avec, ni sans. Une place où vivre, tout simplement.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
extrait de “Voyage Extraordinaire en Terre Ordinaire”, projet artistique mené en collaboration avec Cédric TheDreamcatcher
“Je suis là, face au lac. C’est un petit lac de rien. Au reflet immense comme l’univers. Un petit lac couleurs d’automne. Au milieu d’une herbe de printemps, et d’arbres de l’hiver. Il engloutit tout ce petit lac, des feuilles jusqu’aux nuages, la rétine de mes yeux. Le soleil brûlant, et même le temps. Maisons en noir et blanc.
Face à moi, les arbres se dédoublent. Troubles. Dans l’eau, leurs racines. À l’horizon, leurs racines, j’ai la tête à l’envers. Sans dessus. Sens dessous. Les branchettes dégoulinent et pointent le ciel. Les bourgeons se redressent et les derniers fruits tombent.
Il engloutit tout ce petit lac, le temps et les piaillements des oiseaux et les murmures du vent. Peut-être que ça souffre, dans les maisons là-bas. Peut-être qu’il y a des pleurs dans le miroir du calme. Peut-être qu’il y a des cris dans le miroir du ciel. Rester là ? Aller voir ? Rencontre du réel… C’est net et c’est flou en même temps. Proche et lointain en même temps. J’avance.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
extrait de “Voyage Extraordinaire en Terre Ordinaire”, projet artistique mené en collaboration avec Cédric TheDreamcatcher
“Je l’observe. Du haut de ses quelques années, tout l’intéresse. L’arrête. Un caillou blanc, une feuille, un gland. Il ramasse. Amasse. À ses yeux tout est précieux, même au sol, même boueux. Et j’oscille. Ce n’est rien qu’un caillou. Il finira par s’habituer, tant mieux, j’aimerais avancer, on ne peut pas chaque seconde s’arrêter. Ici. Nulle part. Au beau milieu du chemin… Mais je ne veux pas qu’il s’habitue. Son regard, son sourire, c’est tout ce qui importe. S’attarder. Ce caillou comme une planète inexplorée. Mystère d’une nervure, surprise d’un éclat. S’arrêter dans ce monde qui va trop vite. Toucher la patience d’une pierre à redevenir poussière. Des mousses sèches à attendre la pluie. Il sait encore tout ça, lui. Puissance fugace de l’aurore. Entre deux roches, un champignon. Nouvel arrêt. Prendre le temps. Il y en a tant. Certes, on n’est pas rendus. Où ça, précisément ? Ici, tout compte fait, c’est très bien. On s’asseoit. Entre ces roches, un univers. Dans sa caboche, un univers. Tout l’univers.” ibrida folia
– ibrida folia, 24*32cm
extrait de “Voyage Extraordinaire en Terre Ordinaire”, projet artistique mené en collaboration avec Cédric TheDreamcatcher
“Les herbes folles de mon jardin affolent la voisine. Elle renforce sa clôture. Craint d’être envahie. Je fauche. Parfois. Rarement. Pour pailler les arbres et les arbustes. Des petits tas se forment ici et là. De l’herbe. Des herbes de différentes tailles, de différentes formes. Fines. Épaisses. Vert sombre ou tendre. Envahie par quoi, exactement ? Je fais sécher le foin le long de la maison, à l’abri de la pluie. Je rêve que l’herbe m’engloutit. Pénètre par ma bouche et mes oreilles jusqu’à mon âme et je deviens verte, l’herbe, je pousse, au-dessus de moi le bourdon, un papillon. Mes pieds dans l’argile. Ils se frayent un chemin. Je ne crains pas la roche. Je m’étends vers le haut, vers le bas, m’étire. Mes consœurs autour de moi. Je sais que beaucoup de jardiniers ne m’aiment pas. Préfèrent les fleurs. Ils me veulent là mais pas ici. Épaisse mais pas grandie. Pas dépasser. Soit. Je suis là. Les vers m’apprécient. Et la rosée aussi.” ibrida folia
– ibrida folia, 16*24cm
vide
“Il s’agit de faire du vide. Pas un tout petit vide. Interstitiel. De rien du tout. Coincé entre l’agir et l’attente. Il s’agit de faire du vide. Un vrai. Un grand. Un béant. Un vide protégé par la rugosité. Défense de s’approcher. Froid jeté.
Je m’arrête. Que c’est dur. Que la tentation est grande. De penser. De lire. De me lever. De me laver. De ranger. D’écrire. De cuisiner. De dormir. De tout recommencer.
Parfois, je n’ai envie de rien, et la pause à moi s’impose. Mais bien souvent, dans ce cas je panique. Il me faut trouver une envie. Fuir à tout prix cette mélancolie. Je me refais hier. Je me refais demain. Je comble le vide.
Parfois, je n’ai envie de rien. “Envie de rien”. “Envie de rien”. Je me demande. Dans ma tête, les mots tournent. J’écoute bien. Ça ne dit pas “Je n’ai envie de rien”. Ça dit : “J’ai envie de rien”. Envie du rien. Du vide. Envie d’une suspension, réelle, longue et prolongée. Comme ce monde a besoin.
Alors j’y reviens. À nouveau, je m’arrête. Que c’est dur. Cette confrontation. Sans concession. À ma part d’ombre. Non, mais vraiment. Une place à la honte, celle qui vous tord le bide. Une place à la peur, celle qui pique le dos de frissons ancestraux. À ma part de lumière. Une place au gonflement du cœur, tant qu’il pourrait exploser. Une place au sourire, qui pose en vulnérabilité. Je tente d’accueillir la joie, aussi, et ce n’est pas si simple que ça.
De jour en jour, de vide en vide, un chemin se dessine. Pas japonais dans une vie rythmée, trop souvent effrénée. Petits bouts de vide qui deviennent grands bouts, s’étendent peu à peu, et le sens avec eux.” ibrida folia