Longtemps, la forêt a été pour moi un lieu de vie. Sortir de chez moi pour y entrer était synonyme de liberté. Je partais. Marcher, écouter de la musique, rejoindre des amis, jouer, refaire le monde, construire des cabanes comme si je pourrais vivre là , au milieu des arbres et des oiseaux. Premier baiser. Avenirs rêvés. Passer du temps. Ne jamais croire que je perds mon temps. Découvrir, retenir les sentiers, les pierres, les formes. Petit à petit, être là comme chez moi.
Les études scientifiques ont tout changé. Classe préparatoire BCPST (Biologie, Chimie, Physique, Sciences de la Terre), école d’ingénieurs. La forêt, parmi bien d’autres milieux naturels, est devenue objet d’études, objet de travail, de classification, de connaissances. Un monde à découper en chapitres, en exercices, en formules, en équations. Un monde regardé sous l’angle des services rendus et de l’utilité. Lentement et sûrement, la forêt a perdu sa magie, elle est devenue espace d’efforts intellectuels et de connaissances acquises, espace sérieux et distancié.
Je n’allais plus en forêt, ou pour de rares travaux dirigés, études donnant lieu à des rapports et des évaluations. Je n’ai pas résisté. Je n’ai rien vu, le cadre était si bien posé. Aucun doute formulable. Apprendre les nomenclatures, les réactions physico-chimiques, les enjeux de productivité, les interventions humaines nécessaires, les outils de gestion sylvicole. Rationalité.
Plus tard, dans mon métier de facilitatrice des transitions agricoles, alimentaires et écologiques, c’est par les autres, humains, que j’ai fait évoluer mon rapport au vivant. J’ai écouté leurs forêts, leurs paysages, leurs sols, leur eau, leurs territoires. Les miens ne rentraient pas dans l’équation, je les accompagnais, eux.
En 2023, je réalise comme la richesse de mon rapport au vivant s’est délitée pierre après pierre durant toutes ces années. Je m’interroge sur mon rapport à l’arbre, à la forêt. Je redécouvre le plaisir de partir seule en forêt. Je renforce ma conviction que faire évoluer notre rapport à forêt, et plus généralement à la nature, est nécessaire face aux défis socio-écologiques de notre siècle. Mais quel rapport au vivant développer, au juste ? Et moi, personnellement et intimement, comment et vers où faire évoluer mon rapport au non-humain ? J’approfondis Philippe Descola, je découvre les travaux de recherche d’Éléonore Sas, j’écoute et lis Baptiste Morizot et Estelle Zhong-Mengual.
L’arbre et la forêt m’apparaissent plus que jamais dans une multitude de dimensions. Certes des dimensions utiles pour l’humanité : productive (bois, papier, énergie, fruits, champignons, etc.) ; scientifique (connaissance, classification, anticipation des phénomènes) ; régulatrice (eau, pollutions de l’air, dérèglements climatiques, santé, etc.) ; récréative (balades, sport) ; esthétique et décorative (ornement, paysage, inspiration artistique) ; émotionnelle d’émerveillement (pédagogie, marketing, etc.) ; symbolique (mythes, religions, contes, spiritualité, etc.) ; politique (arbre à palabre, lieu de rencontres).
Mais également des dimensions “en soi”, indépendamment des services rendus à l’humanité, indépendamment même de leurs effets sur nous. J’approche l’arbre et la forêt pour ce qu’ils sont. J’aimerais les retrouver comme “simple” présence, compagnons de vie, espaces de vie. Seulement être là , avec eux, à côté d’eux, au milieu d’eux. Simplement sensible. Sans but. Être vivant parmi les êtres vivants.
L’art m’aide à opérer cette évolution. Il m’aide à ressentir et à représenter une relation plus riche et complexe au vivant, faite de visible et d’invisible. Il m’aide à changer de point de vue, à raccourcir les distances, à tenir compte des sons, des odeurs, des sensations. Il m’aide à imaginer d’autres possibles. À me centrer relations.
Ce projet artistique s’appelle LES ARBRES RELATIONNELS, en hommage aux travaux d’Estelle Zhong-Mengual sur la peinture de Georgia O’Keeffe, en particulier sa réflexion au sujet des fleurs peintes par l’artiste. Estelle Zhong-Mengual en fait une lecture bouleversante, à savoir que ces Å“uvres représentent les fleurs “pour ce qu’elles sont vraiment”, c’est-à -dire des RELATIONS, car Georgia O’Keeffe les peint “du point de vue des êtres qui leur sont intimement liés, à savoir les pollinisateurs”.
Pour finir, un texte et une peinture en hommage à Georgia O’Keeffe :